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Photo du rédacteurCeline Aho-Nienne

Le jeu des 7 familles : avec quel père joue-t-on ? Représentations du père de famille


À l'occasion de la fête des pères, l'idée m'est venue de travailler sur la représentation du "chef de famille". Le jeu des 7 familles s'est imposé de suite : un jeu aux règles connues par petits et grands qui offre diverses illustrations du "Père".


© Pilllpat (agence eureka)


"Doctor Busby" : le premier jeu de familles


Inventé par Anne W. Abbott et édité par W. & SB Ives, "Dr. Busby" (1843) est le premier jeu de cartes imprimé en série aux États-Unis.


Le jeu devient si populaire que toutes les grandes maisons d'édition de jeux se lancent dans la création de leur propre version. Le point commun de toutes les versions existantes est la mécanique du jeu : le premier joueur qui reconstitue une famille entière a gagné.


Toutefois dans "Dr Busby", il ne s'agit pas de réunir les membres d'une famille. En effet, les personnages sont les domestiques du Dr Busby et sont désignés en tant que tels.

Ainsi, il n'y a pas "le Père" ou la "Mère" mais " Caesar Melon, le cocher du Dr Bubsy" ou "Dinah Melon, l'épouse du cocher".


Il est intéressant de souligner que les illustrations de "Dr. Bubsy", caricaturales et propageant des stéréotypes racistes, sont le reflet de la société américaine esclavagiste de l'époque.


© WorthPoint


"Happy Families": le premier jeu de familles constitué de familles


Publié pour la grande exposition de Londres en 1851, le jeu "Happy Families" édité par John Jaques & Sons aurait été inspiré par "Dr Busby". Les cartes sont composées de quatre familles, chacune d'elles comprennent quatre membres : le père, la mère, le fils et la fille.


La différence avec le jeu précédent est qu'il s'agit d'une famille à proprement parlé et l'élément nouveau est la mention du métier du père.

Les pères sont M. Daub le peintre, M. Dough le boulanger, M. Pill le docteur, M. Sand l'épicier, M. Saw le charpentier, M. Snip le barbier, M. Stain le teinturier, M. Smut le ramoneur, M. Thread le tailleur et M. Tub le brasseur.

© The World Of Playing Cards


Le jeu véhicule le message suivant : le père est le chef de famille, c'est de son métier que dépend sa famille.


Succès immédiat, le jeu voit fleurir de nombreuses versions dont "Cheery Families", "Funny Families", "Merry Families", " Jovial Families", "Jolly Families" et "Familiar Families".


L'adaptation allemande s'appelle "Quartett" et la française est notre célèbre "Jeu des Sept familles".


Le premier jeu de familles français : une caricature contre la bourgeoisie


Le caricaturiste politique André Gill crée en 1876 le premier jeu de familles français à destination d'un public adulte.

© Gallica, BNF


Dans un article intitulé "Jouer sept familles aux cartes ?", Claude de la Genardière explique : "Ce n'est pas un jeu pour enfants. Ses familles sont celles de notables et les "chefs de famille", le ministre, le général, le mandarin, le docteur, l'avocat se présentent avec leur femme, leur fils, leur fille, leur cuisinière et leur valet. Dans la série des notables, le contrebandier et le voleur soulignent la crudité de la charge d'André Gill contre la bourgeoisie."


© Gallica, BNF


Pour accentuer la caricature, chaque famille est représentée par un objet situé en haut à droite de la carte. Devinez quels sont les objets illustrés ci-dessus ?


Pour le voleur, il s'agit d'une potence et pour l'avocat, d'un verre de vin !


La représentation du père de famille


Tout comme "Happy Families", les versions françaises sont organisées autour de l'activité du père.


En effet, le jeu est le reflet du contexte social du XIXe siècle, période où le Code civil établit la supériorité absolue du mari, et où les fonctions de la famille se lient à l'industrialisation, donnant de l'ampleur à la petite entreprise familiale.


La spécificité du jeu français réside dans le fait que le joueur doit réunir une famille de six membres (au lieu de 4 pour la version anglo-saxonne).

Les cartes "L'Aïeul" (qui sera remplacé plus tard par "Grand-Père") et "L'Aïeule" ("Grand-Mère") font donc leur apparition. La profession est désormais transmise de père en fils sur trois générations.


© Jeux anciens de collection


Claude de la Genardière souligne que ces deux nouveaux personnages se rapportent à la figure du père :

"Il n'y a pas de figuration des lignées maternelles".

Elle note également que "les individus qui composent les sept familles du jeu se ressemblent beaucoup;

ce sont les métiers et les générations qui distinguent les individus : c'est l'avènement d'une logique individuelle égalitaire."


Le jeu de 7 familles : témoin de l’évolution de la société


Sophie Sesmat, spécialiste en arts et traditions populaires, remarque : " La famille des pêcheurs (et poissonniers) fait une entrée tardive, peut-être en raison du tourisme familial en bord de mer. Dans le même temps apparaissent des jeux s’écartant résolument du modèle initial pour s’intéresser à de nouvelles activités liées aux progrès techniques, aux sports et aux voyages, notamment. Ce qui semblait autrefois naturel peut choquer aujourd’hui : dans les jeux représentant des familles du monde, certains n’échappent pas aux clichés et stéréotypes de leur temps.


Par delà l’extrême diversité de l’iconographie, les règles et la structure du jeu ont peu évolué depuis l’époque de Gil. L’apparition de frises qu’il faut exposer en mettant bout à bout, tel un puzzle, les cartes d’une même famille, constitue certainement l’innovation la plus remarquable.

© Pilllpat (agence eureka)


Rançon de son extraordinaire succès, le jeu de 7 familles attire désormais les publicitaires et pédagogues désireux de toucher un vaste public, les artistes souhaitant se confronter à un objet culturel très codifié et les chercheurs questionnés par les valeurs et les représentations familiales qu’il véhicule."


Sur la carte de jeu ci-dessus, le corps du père est représenté par un pot de moutarde. La figure du père n'est plus qu'un support publicitaire.


Qu'est ce qui se joue quand on joue au jeu des sept familles ?


La psychologue Claude de la Genardière avance : "La règle du jeu impose une mobilité organisée des cartes, accompagnée de formules à énoncer. Le cours d’une partie ne cesse de provoquer des déplacements des membres des familles, des séparations et des liaisons à d’autres, pour tenter de les réunir à nouveau. La main rassemble des éléments de familles dispersées, créant une sorte de famille composite mobile tout au long de la partie, et pouvant comprendre, selon les moments, plusieurs grands-pères, pas d’enfants, deux mères, une avalanche de pères, aucune figure parentale, des parents ou des grands- parents d’un seul sexe, et encore bien d’autres étrangetés familières et inquiétantes... (S. Freud, 1919).

En maniant les cartes, chaque joueur peut aussi imaginer d’autres enfants, d’autres grands-parents, voire d’autres parents ou d’autres personnages exerçant ces fonctions représentées, et la diversité des compositions des familles de notre société contemporaine peut se trouver ainsi largement convoquée. Mais au-delà de l’imagination, c’est toute une activité fantasmatique inconsciente qui est mobilisée sur le thème de la parenté. (...)

Nous avons affaire à des familles « complètes » à reconstruire telles quelles. Comme s’il y avait là un déni de la nécessité de l’alliance, une figuration latente de fantasmes de filiation sans procréation..."

Conclusion


Que vous soyez famille vintage ou famille recomposée, n'oubliez pas de fêter votre père ce dimanche !


 

Sources











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