Los Angeles, 11 août 1965 : le quartier de Watts brûle et les rebelles chantent « Burn, baby, burn » (Brûle, bébé, brûle). Pendant 6 jours, les manifestations, les protestations et les affrontements donnent un air de champ de bataille à ce ghetto afro-américain.
Déclenchée par l’arrestation d’un jeune noir de 21 ans pour conduite en état d’ivresse par un policier blanc, la révolte qui éclate prend racine dans un contexte de chômage massif, de système éducatif défaillant et de racisme anti-noirs des autorités policières.
Le bilan de la révolte est lourd : 34 morts (dont 31 Afro-Américains), plus de 1000 blessés, 4000 arrestations et 40 millions de dollars de dégâts.
« Learn, baby, learn »
Suite à cette révolte, Louis Smith et Robert Hall, deux militants afro américains, décident de lancer en novembre 1965 l’opération Bootstrap. L’objectif de leur programme axé sur l’apprentissage et l’emploi est : « Learn, baby, learn » (Apprends, bébé, apprends).
Les deux amis lancent une campagne de financement et récoltent des fonds provenant de tous les horizons. Une cinquantaine de bénévoles, dont des stars, viennent à Watts donner des cours de lecture, de théâtre et d’expression artistique.
Mais les deux amis voient plus loin. Ils veulent que leurs enfants soient fiers d’être noirs.
Louis Smith ajoute : « Nous croyons que c’est en apprenant à s'aimer soi-même que l'on peut apprendre à aimer les autres. » Leur idée ? Créer à Watts la première entreprise de poupées et de jeux célébrant la culture afro-américaine.
Mélange des idées du Black Power et de l’entrepreneuriat communautaire, Shindana Toys voit le jour en 1968.
L’entreprise, dont le nom signifie
« compétiteur » en swahili, désire
« injecter plus d'emplois dans la communauté noire et utiliser les bénéfices pour améliorer la qualité de vie de la communauté. »
Robert Hall and Louis Smith © Johnson Publishing Company
Grâce à l’aide précieuse d’Arthur Spear vice président de Mattel qui met à la disposition de Shindana des outils de production, Baby Nancy naît à Noël 1968.
Louis Smith et Robert Hall annoncent : « Notre poupée ne ressemble pas à une Noire. Elle est Noire. »
© Los Angeles Times
Conçu par le sculpteur afro-américain Jim Toatley, Baby Nancy est la première poupée noire réaliste. Son visage a été dessiné à partir de ceux d’enfants africains et ses cheveux bouclés sont naturels.
« Play, baby, play »
En 1969, 130 000 Baby Nancy sont vendues aux États-Unis, en Nouvelle-Zélande, en Australie, au Japon et en Europe. Les bénéfices permettent le financement des activités de l’opération Bootstrap, tel que l’ouverture d’un centre péri-scolaire à Watts.
Dans les années 1970, Shindana édite des jeux de société.
Le jeu de plateau « The Black Experience, American History Game » (1971) de Theme Productions met en lumière l’histoire des Noirs et leur contribution à l’histoire américaine.
Les joueurs débutent leur parcours en 1619 avec l’arrivée par bateau des premiers esclaves africains aux Etats-Unis. Puis, ils avancent en découvrant des figures noires, telles que des abolitionnistes, des scientifiques, des artistes et des penseurs noirs pour atteindre « le début d'une nouvelle expérience noire ».
Ancrés dans la vie contemporaine, les éditions Shindana célèbrent également la culture pop afro-américaine.
Le jeu « Jackson Five » (1972) met en scène le groupe de musique dans des couleurs vives. Les joueurs doivent réunir 4 cartes identiques et crier « Jackson Five » lorsqu’ils ont la bonne combinaison.
© Worth Point
Le jeu « Afro American History Mystery Game » (1972), à visée pédagogique, propose des cartes questionnaires sur des personnalités noires de l'histoire américaine tel que les pionniers de l'Ouest, les inventeurs, les scientifiques et la militante Harriet Tubman.
Chaque carte permet au joueur d’acquérir un nombre de pièces de puzzle. Le premier joueur qui réussit à reconstituer son puzzle a gagné.
A la fin des années 1970, l’entreprise Shindana lance la « Little Friends Collection » avec des poupées garçons et filles blanches, noires, asiatiques et hispaniques, pour refléter au mieux la diversité de la société américaine.
Des figurines articulées viennent également compléter les jeux. Pour ne pas propager des messages de violence, Shindana choisit de ne pas produire des soldats comme le célèbre G.I. Joe.
L'entreprise opte pour des personnalités positives tels que la star du basket-ball Julius Winfield Erving, surnommé Dr. J. Avec son corps articulé, la figurine peut même imiter le fameux « slam dunk ».
© The Strong National Museum of Play
Dans les années 1970, avec un catalogue comprenant 32 poupées et 6 jeux de société, l'entreprise enregistre plus de 1,5 millions de dollars de chiffres d'affaires.
La disparition brutale de Robert Hall en 1973 puis et de Louis Smith en 1976 laisse l'entreprise Shindana orpheline. Celle-ci survit jusqu'en 1983 avant de s'éteindre elle aussi.
En novembre 2020, Baby Nancy entre officiellement dans le "National Toy Hall of Fame". Ce panthéon national consacre les jouets les plus populaires et les plus aimés par les successions de générations. Baby Nancy devient iconique !
Conclusion
Le succès des jouets de Shindana montre qu’il est possible d’associer des valeurs éthiques fortes à une rentabilité économique.
Leur succès prouve également que certaines luttes doivent être prolongées par des expériences ludiques.
Pour aller plus loin :
Sources :
Yolanda Hester "Shindana Toys: Dolls That Made a Difference", 20/11/2019
A History of Shindana Toys: Dolls and Games with a Difference
Oeuvres de Tina Tona artiste rwandaise et ougandaise sur le thème de "Burn, ’objectif de leur programme , axé sur l’apprentissage. L’objectif de leur programme , axé sur l’apprentissage et l’emploi , est : « Learn, baby, learn » (Apprends, bébé, apprends).
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